vendredi 1 octobre 2010

La régression numérique

L'avènement de la télévision numérique est en train de se faire par l'infiltration dans nos foyers de décodeurs dont on nous vante les mérites à chaque moment de cerveau disponible. Certes, ils remplissent plein de fonctions très intéressantes et ne sont pas trop mal fichus en terme d'ergonomie. Mais ils ont deux sérieux défauts qui en ces temps où chacun doit faire preuve de conscience écologique, de serrage de ceinture, où les primes à la conservation d'énergie fusent et l'ampoule économique reigne, leur font fleurer l'hérésie. Jugez plutôt.

Tout d'abord, la consommation électrique. Il existe différents modèles de décodeurs chez les deux opérateurs, chacun avec ses spécificités et ses performances. Il semble avéré que la majorité sinon tous ces modèles, y compris les plus récents, sont très gourmands en énergie. Plus grave, ils sont tout aussi gourmands en veille. Pas de chiffres précis à donner ici, mais divers posts sur le net se recoupent : ces décodeurs consomment de l'ordre de 20 à 30 watts en veille.
"Ben éteins-le !" me direz-vous. Mouais. D'une part, l'intérêt d'un enregistreur est qu'il puisse enregistrer en mon absence. Pas question de l'éteindre donc. D'autre part, du moins dans le cas de Belgacom, le décodeur met une bonne vingtaine de minutes à se rallumer. Bref, globalement, ces décodeurs ne sont pas conçus pour être éteints (le décodeur Voo, du moins jusqu'il y a peu, ne possédait même pas d'interrupteur !).

Je sais, tout ça paraît comme de bien futiles caprices d'un consommateur pressé et paresseux, infoutu d'attendre 20 minutes sa série favorite ou de tendre le bras pour rebrancher son multi-prises. Mais soyons réalistes : quoi qu'on en pense, le citoyen lambda  ne va pas faire cet effort.

D'autre part, c'est enrageant de voir ces solutions nous faire régresser par rapport à un classique enregistreur HDD/DVD avec ligne analogique, d'autant que ces problèmes techniques peuvent être résolus en deux coups de cuiller à pot (j'invite l'ingénieur Belgacom ou Voo qui me lit à fournir un justificatif technique à la non résolution de ces problèmes).

Réponse typique à ce genre de critique : "Ben n'utilise pas leur décodeur s'il est si pourri !". Je voudrais bien. C'est même ce que j'ai fait jusqu'à ce mois de juin. Et on arrive au second problème, qui rend le premier inévitable : chaque opérateur impose son décodeur en empêchant ses utilisateurs d'utiliser le signal TV avec un autre appareil de son choix.
Dans le cas de Belgacom, les flux TV transmis par le modem étaient jusqu'en juin passé en grande partie "ouverts", entendez non-cryptés. Libre à chacun dans ce cas d'utiliser l'appareil de son choix pour les lire, il s'agissait d'un flux IPTV tout ce qu'il y a de plus normal. Mais c'est fini ce temps-là. L'opérateur a progressivement crypté toutes les chaînes de son offre, rendant son décodeur indispensable. A ce sujet, je serais curieux d'entendre une explication à cette décision que rien ne justifie techniquement. (Cependant, l'annonce récente par Belgacom d'un service - payant - permettant le visionnage de la télévision sur ordinateur nous donne une explication plausible : ils ont artificiellement bridé leur service pour pouvoir faire payer une "nouvelle" fonctionnalité)
Du côté de Voo, même combat, la solution numérique est tout aussi cryptée. On peut rétorquer qu'ils offrent toujours la connection analogique classique, mais celle-ci aura définitivement disparu en 2012. Maigre répit.


Alors quoi, ils sont tellement sûrs de leur duopole qu'ils n'ont aucun scrupule à nier l'existence des tuners DVB de nos écrans plats et enregistreurs HDD chèrement acquis il y a moins d'un an et en beaucoup de points bien plus performants que leur maudits décodeurs conçus avec les pieds ? Pardon, je m'emporte. Mais si ça ce n'est pas ouvertement prendre le consommateur pour un imbécile...

Car contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire, avoir un tel décodeur n'est pas inhérent à la télévision numérique, même HD. Ce que ces décodeurs offrent de vraiment différent, c'est la télévision à la demande (VOD). Mais la majorité des consommateurs n'ont pas envie de VOD. Evidemment, si on leur impose la tentation de la VOD au bout des doigts, ça va susciter des achats impulsifs. Alors pourquoi laisser au consommateur le choix de se priver de la tentation, je vous le demande.

Conclusion : les opérateurs TV qui couvrent la demande de la très grande majorité de la Wallonie sont en train d'imposer des solutions qui vont inutilement augmenter la facture énergétique de chaque ménage de 30W d'ici 2012. L'équivalent de plusieurs ampoules économiques allumées en permanence. Et pas d'ouverture aux solutions alternatives qui pourtant existent et sont parfois bien plus performantes. Tout ça pour des raisons obscures, mais aux relents d'abus de monopole et d'incitation à la consommation.
Rapide calcul : Un ménage moyen passe 3h par jour devant la télé. Comptons même 4. Ca laisse 7330h de veille par an pour nos décodeurs. A 30W la mise en veille, ça fait 219KWh annuels. Le même ménage lambda consomme 4500 kWh annuels (statistiques Région Wallonne). Donc environ 5% de la consommation totale des ménages wallons pour faire tourner des décodeurs en veille ! (Si on se base sur d'autres estimations courantes qui évaluent la consommation moyenne à 3500kWh, il s'agirait en fait de plus de 6% !)
Encore un petit calcul : toujours d'après les statistiques gouvernementales, 86% des ménages wallons ont la télédistribution (Voo et/ou Belgacom). Avec 1400000 ménages en Wallonie, ça nous fait 1200000 décodeurs, et donc 263.6 GWh annuels. A titre de comparaison, l'objectif de la politique wallonne de l'énergie est d'atteindre une production d'électricité de 370 GWh (environ 150 éoliennes) en 2010 (dixit http://energie.wallonie.be). Ouf, heureusement qu'on a l'éolien pour faire tourner les décodeurs à vide.
Mais que font MM. Marcourt et Nollet ?

D'autant que des alternatives, il y en a.
D'abord, on ne me fera pas croire qu'il est inévitable qu'un tel appareil consomme autant en veille. Tous les constructeurs d'électro-ménager s'attellent (et parviennent dans des situations bien plus difficiles) à optimiser l'empreinte énergétique de leur appareils. Alors pourquoi Belgacom et Voo pourraient-ils s'en considérer dispensés ?
Ensuite, il existe suffisamment de standards ouverts, promus par l'Europe, pour offrir un flux TV qui permette l'utilisation d'un appareil au choix de l'utilisateur. Offrez un signal DVB, et tous les téléviseurs ou enregistreurs modernes pourront le lire directement. Un flux IPTV non crypté, et un ordinateur ou nombre de mediacenters du commerce feront l'affaire. Sans nécéssiter 20min de démarrage. (je ne m'étendrai même pas ici sur l'intérêt qu'aurait le consommateur à faire valoir une telle concurrence en termes de fonctionnalités et de qualité, vu la honte que mettraient à ces décodeurs plusieurs appareils du marché)

Maigre espoir : que la nouvelle offre Mobistar (qui a l'air d'offrir effectivement un flux partiellement ouvert) secoue ce marché nécrosé et relance une saine concurrence. Mais je crains qu'une offre à base de parabole ne soit pas susceptible d'intéresser suffisamment de personnes pour que les deux dinosaures ex-étatiques se sentent menacés.

Dernière solution : se contenter de l'offre DVB-T (hertzienne) de la RTBF. Pas si mal en fait.

P.S. : Je parle essentiellement ici des solutions techniques basées sur les décodeurs qui nous sont imposées par nos deux opérateurs principaux en Wallonie. Ne connaissant pas la situation en Flandre, je m'abstiendrai de généraliser/comparer, mais je crois que l'offre de Telenet est plus avancée dans ce domaine.

Quelques liens utiles :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Tévision_numérique_terrestre
http://fr.wikipedia.org/wiki/Télévision_IP
http://www.test-achats.be/consommation-durable/modems-et-decodeurs-trop-energivores-s658563.htm
http://www.test-achats.be/tv/tv-numerique-l-offre-les-problemes-nos-exigences-s628543.htm
http://www.test-achats.be/forums-topic-detail-test-achats-p15932/topicsrc/461632/page/0.htm

3 commentaires:

  1. Bien malheureusement, les flux ouverts restent une utopie (tout du moins sur les contenus à la mode et générateurs de cash tels les séries américaines) tant que les ayants droits et des diffuseurs resteront tout puissants.

    A propos de la consommation, chez les grenouilles, la Freebox v6 qui doit sortir d'ici à la fin de l'année va apporter une solution élégante au problème: seul le boitier réseau (ADSL/FTTH) contient un disque dur qui permet de faire NAS et de stocker les enregistrements pour tous les boitiers TV du foyer.

    Un avantage à la dématérialisation (VOD) est que c'est plus écologique et que ça permet de gagner de la place dans ses étagères, ça consomme aussi un peu moins car il n'y a pas besoin de moteur pour entrainer la rotation du disque.

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  2. C'est vrai, avoir des flux ouverts est impossible pour beaucoup de chaînes pour cause de droits de diffusion. Mais le bouquet "classique" (qui est encore offert par la télédistribution analogique) doit pouvoir être ouvert.

    Quant à l'avantage écologique de la VOD, je ne suis pas convaincu (transmettre des bytes sur un câble a aussi un coût). Mais je ne critique pas la VOD en soi, c'est clairement une option intéressante pour beaucoup.

    Je critique l'absence d'une offre de base, sans VOD, avec un bouquet réduit mais libre de droits, et n'exigeant pas le décodeur.

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  3. Petit rappel historique: Déjà en 1996, Canalsat offrait un bouquet numérique, en 2005/2006 avec TPS la Haute-Définition. C'est à ce moment que commençait pour les accrocs du câble la découverte de la télé digitale avec 10 ans de retard sur les bienheureux possesseurs d'une parabole avec décodeur numérique.
    C'est un oubli expliqué par cet attachement des wallons au câble (de téléphone ou coaxial) amplifié par l'offre anorexique de la TNT belge et quasi inexistante (gratuitement) sur satellite. Qu'attendent donc nos élus politique pour couper le câble qui nous lie aux opérateurs dominants ?

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